Prise en compte du raisonnable dans la démarche ALARA : l’initiative internationale SFRP-IRPA

SCHNEIDER T., SCHIEBER C., ANDRESZ. S., VAILLANT L., LECOMTE JF. (IRSN), LE GUEN B. (EDF), CHAMBRETTE V. (SFRP)

Journées ALARA – Congrès SFRP
Saint-Malo, 24-25 mai 2018

Summary

L’IRPA (International Radiological Protection Association) a engagé depuis 2016 une réflexion sur la mise en œuvre du système de radioprotection et son évolution. Dans ce cadre, la SFRP a organisé un premier séminaire sur la mise en œuvre pratique de la démarche d’optimisation qui s’est tenu à Paris en février 2017.

Le principe d’optimisation de la radioprotection, connu sous l’acronyme ALARA (aussi bas que raisonnablement possible), constitue la pierre angulaire du système de protection radiologique tel que défini dans les recommandations de la CIPR (Commission Internationale de Protection Radiologique) dans sa Publication 103. Dans la pratique, sa mise en œuvre repose sur la recherche, pour une situation d’exposition donnée, d’un niveau de protection jugé raisonnable en prenant en considération les facteurs économiques et sociétaux. Cependant, la démonstration que les expositions sont aussi basses que raisonnablement possible n’est pas toujours facile et n’est parfois pas suffisamment objectivée et rarement rendue visible. 

Ce premier séminaire a regroupé une trentaine de participants issus des sociétés de radioprotection européennes, japonaises et coréennes, ainsi que des organisations internationales (IRPA, CIPR, AEN, OMS, EAN). L’objectif était d’engager une discussion sur les fondements du principe d’optimisation (système de la CIPR, dimensions éthiques, culture ALARA) et de partager le retour d’expérience sur sa mise en œuvre dans trois domaines : le secteur nucléaire (plus particulièrement pour les expositions professionnelles), le secteur médical et les situations d’exposition existantes (l’exposition au radon, la gestion des sites contaminés par le radium et la gestion des situations post-accidentelles). Les participants ont ainsi partagé leurs approches et leurs interrogations face à la question : à partir de quel niveau les expositions peuvent-elles être considérées comme suffisamment basses ? [1]

Le principe d’optimisation et les questionnements concernant sa mise en œuvre

Introduit dans les années 1970 dans les Publications 22 puis 26 de la CIPR, le principe d’optimisation s’est d’abord appuyé sur l’analyse coût-bénéfice mettant en regard les doses évitées et les coûts des actions de protection pour juger du caractère “raisonnable” des actions de protection. Ceci a conduit à l’adoption de valeurs monétaires de référence de la personne-sievert, plus particulièrement dans l’industrie nucléaire, pour les expositions professionnelles, mais également dans la gestion des expositions du public. Des approches multi-critères ont ensuite étaient développées et le modèle de la tolérabilité du risque a été adopté dans les recommandations générales de la CIPR au début des années 1990 (Publication 60). 

C’est dans ce cadre que progressivement s’est posée la question de l’implication des parties prenantes dans les processus de recherche du “raisonnable”. Afin de juger du caractère “raisonnable” d’une situation d’exposition, la CIPR a décrit en 2006 la démarche d’optimisation dans sa Publication 101 en introduisant à la fois une série de critères, prenant en compte des dimensions économiques, éthiques et sociétales et a présenté la démarche d’implication des parties prenantes dans les processus d’évaluation et de décision. La Publication 103, en faisant du principe d’optimisation l’élément central de la mise en œuvre du système de protection radiologique a également renforcé le rôle de l’implication des parties prenantes dans la recherche du “raisonnable”.

Plus récemment, la réflexion engagée par la CIPR sur les fondements éthiques du système de radioprotection a conduit à définir la recherche du “raisonnable” comme étant “un questionnement permanent dépendant des circonstances spécifiques afin d’agir avec discernement en s’appuyant sur les connaissances et l’expérience et avec le désir de : faire plus de bien que de mal (bienfaisance et non-malfaisance) ; d’éviter les risques non nécessaires (prudence) ; de rechercher une distribution équitable des expositions (justice) ; et de considérer les personnes avec respect (dignité) (Publication  138).

Les principaux résultats du séminaire organisé par la SFRP

Les principales conclusions du premier atelier étaient tout d’abord que l'optimisation reste un défi dans tous les secteurs considérés. Les discussions ont aussi mis en évidence que l'optimisation est un processus délibératif favorisant la recherche d’un «compromis» raisonnable avec l’ensemble des parties prenantes. Pour y parvenir, les parties prenantes doivent être informées, ce qui suppose parfois d’organiser leur montée en compétence. La synthèse du premier séminaire a été publiée dans la revue "Radioprotection" (1).

ALARA dans le secteur nucléaire 

Dans le secteur nucléaire, on constate de façon générale une réduction significative des expositions individuelles les plus élevées depuis la publication 60 de la CIPR, notamment due à la réduction des limites de dose et à l'utilisation des contraintes de dose. Il convient cependant de souligner que si les doses individuelles moyennes sont plutôt faibles, il existe une distribution des doses variable selon la spécialité des travailleurs concernés qui nécessite une vigilance particulière dans la mise en œuvre de la démarche d’optimisation. C’est dans ce secteur que la démarche d’optimisation a largement été guidée dans les années 80 et 90 par le recours à l’analyse coût-bénéfice avec une utilisation importante du retour d’expérience pour guider les actions de protection.

Dans un environnement économique en pleine évolution, la poursuite de la mise en œuvre de la démarche ALARA pose question. Quelles sont les marges d'optimisation pour les expositions en fonctionnement normal des installations ? Comment mettre en place une approche holistique/multi-risques et graduée ? Il ressort également du séminaire les challenges sur les transferts de risque, à la fois entre les travailleurs de différentes spécialités mais également entre les travailleurs et le public. Il convient enfin  de souligner l’importance de renforcer la formation et la sensibilisation des intervenants ainsi que la diffusion de la culture de radioprotection afin de permettre à la fois une protection efficace et une participation éclairée des différentes parties prenantes dans les processus d’évaluation et de décision concernant les actions de protection dans le secteur nucléaire.

ALARA dans le secteur médical

Dans le secteur médical, il convient de noter une évolution importante au cours des années 2000 avec la Publication 105 de la CIPR qui renforce la démarche d’optimisation de la radioprotection pour les patients. Dans la pratique, la réduction des doses ou leur maintien reste un objectif en radiodiagnostic mais n’est généralement pas prioritaire en radiothérapie ou en médecine nucléaire. La mise en œuvre de l'optimisation est définie comme étant une responsabilité partagée, impliquant le médecin, les personnels de santé, mais également les gestionnaires des hôpitaux qui peuvent selon les cas limiter ou favoriser la mise en œuvre de l’optimisation en fonction des contraintes budgétaires. On notera cependant l’implication très limitée des patients eux-mêmes dans la démarche d’optimisation, tout en soulignant le développement récent de la communication et de la diffusion de la culture de radioprotection avec les patients, les professionnels de santé et les familles et ce compte-tenu notamment de l’obligation inscrite dans la nouvelle directive européenne. 

Dans ce domaine, il existe des challenges face aux nouvelles technologies, notamment en radiothérapie, avec un besoin de formation pour éviter les incidents et la nécessité de renforcer la mise en place d’une approche holistique en cours de développement dans le secteur médical. De même, une réflexion sur la prise en compte des considérations éthiques dans la recherche du “raisonnable” (consentement éclairé, justification, etc.) pourrait être engagée.

ALARA dans les situations d’expositions existantes

Concernant les situations d’exposition existantes, il a été souligné que ces situations étaient marquées par l’importance du rôle des personnes exposées dans la mise en œuvre des actions de protection et dans les processus de décisions. Très souvent, l’approche est davantage centrée sur la qualité de vie que sur les seuls niveaux d’exposition (plus particulièrement pour l’exposition au radon et la gestion post-accidentelle). De même, il a été souligné le rôle important des considérations éthiques et sociétales dans la gestion de ces situations.

La façon dont la démarche d’optimisation est mise en œuvre dépend largement des circonstances et du contexte local. Deux points ont été particulièrement discutés pour la mise en œuvre de la démarche d’optimisation dans ces situations : le rôle du niveau de référence et l’importance de la démarche d’implication des parties prenantes et du développement de la culture de radioprotection.

Comme pour les autres secteurs et peut-être de façon plus marquée, l’approche multi-risques semble prédominante dans certaines situations avec le besoin de mettre en place une approche graduée, adaptée à chaque contexte spécifique. Dans ce cadre, si un besoin de mise en perspective des situations semble s’exprimer, il a été souligné la nécessité de l’utiliser avec précaution. La question du transfert de risque entre le public et les travailleurs ou entre différentes populations ou encore entre génération est à considérer dans ces situations, mais demeure peu traitée dans les expériences présentées lors du séminaire. 

Vers un second séminaire

La SFRP a engagé l’organisation d’un deuxième séminaire qui aura lieu à Paris du 23 au 24 octobre 2018. L'objectif est de montrer, à travers des études de cas, comment un niveau raisonnable de protection a pu ou non être concrètement atteint grâce à un dialogue soutenu avec les parties prenantes. Les cas pratiques présentés seront :

  • relatifs à l'exposition du public, des patients ou des professionnels (exposés du fait des rejets des installations, des déchets, de l’héritage du passé, dans le cadre des procédures médicales, etc.);
  • dans les 3 secteurs déjà considérés (nucléaire, médical, situations d'exposition existantes);
  • avec une focalisation sur l'implication des parties prenantes, y compris les actions éventuellement engagées pour permettre leur montée en compétence et le développement de la culture de radioprotection. 

Références

  • ICRP, 1973. Implications of Commission Recommendations that Doses be Kept as Low as Readily Achievable. ICRP Publication 22.
  • ICRP, 1977. Recommendations of the ICRP. ICRP Publication 26. Ann. ICRP 1 (3).
  • ICRP, 1991. 1990 Recommendations of the International Commission on Radiological Protection. ICRP Publication 60. Ann. ICRP 21 (1-3).
  • ICRP, 2006. The Optimisation of Radiological Protection - Broadening the Process. ICRP Publication 101b. Ann. ICRP 36 (3).
  • ICRP, 2007. The 2007 Recommendations of the International Commission on Radiological Protection. ICRP Publication 103. Ann. ICRP 37 (2-4).
  • ICRP, 2007. Radiological Protection in Medicine. ICRP Publication 105. Ann. ICRP 37 (6).
  • ICRP, 2018. Ethical foundations of the system of radiological protection. ICRP Publication 138. Ann. ICRP 47(1).

T. Schneider, J.-F. Lecomte, C. Schieber, S. Andresz, V. Chambrette, B. Le Guen et L. Vaillant - Synthesis of reflections and conclusions of the SFRP-IRPA workshop on the reasonableness in the practical implementation of the ALARA principle

 

[1] Les présentations du séminaire sont disponibles sur le site de la SFRP

(A1317)